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Fatigue, manque de sommeil et sexualité : quand l’insomnie s’en mêle


La fatigue chronique et le manque de sommeil perturbent la libido, le plaisir et l’intimité de nombreux patients.

Cet article propose un cadre clair : comprendre les liens sommeil–sexualité, poser les bonnes priorités thérapeutiques (thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie (TCC-I) en première intention), puis présenter rigoureusement la place éventuelle du daridorexant (Quviviq) lorsque le traitement non médicamenteux ne suffit pas.

Sommeil et sexualité : que dit la littérature ?

Troubles du sommeil et dysfonctions sexuelles

Un lien robuste, objectivé par les données

Une méta-analyse récente (43 études) montre que les troubles du sommeil augmentent de façon significative le risque de dysfonctions sexuelles : risque relatif proche de 2 dans les cohortes longitudinales et sur-risque avec mauvaise qualité ou durée raccourcie du sommeil.

Mécanismes plausibles

L’hyperéveil, l’altération hormonale nocturne (testostérone, prolactine), l’inflammation de bas grade et les comorbidités (anxiété, dépression, apnées obstructives du sommeil) contribuent au cercle vicieux sommeil–sexualité. Dans le SAOS, le traitement par PPC améliore la fonction sexuelle chez les hommes et participe à restaurer l’ergonomie du sommeil.

Le SAOS correspond à des pauses respiratoires qui fragmentent le sommeil et épuisent l’organisme.

La PPC, un petit appareil qui souffle doucement de l’air la nuit, aide à mieux respirer et mieux dormir.

Résultat : plus d’énergie, moins de somnolences… et souvent une vie sexuelle qui retrouve du souffle.

Différences selon le sexe

Chez les femmes, une étude populationnelle espagnole (n≈1 000) confirme l’association entre troubles du sommeil et difficultés sexuelles, plaidant pour un dépistage systématique en consultation de sexologie.

Priorités thérapeutiques : d’abord la TCC-I et les mesures non médicamenteuses

Les recommandations européennes actualisées (ESRS, 2023) rappellent : la TCC-I est le traitement de première intention de l’insomnie chronique, en présentiel ou en version numérique. Les options pharmacologiques (dont les antagonistes des récepteurs de l’orexine) se discutent si la TCC-I est indisponible, insuffisante ou incomplètement efficace, avec réévaluations régulières.

À systématiser avant tout médicament :

  • Hygiène du sommeil (heures régulières, exposition matinale à la lumière, restriction de temps au lit si utile), gestion des ruminations au coucher et du stress de performance.
  • Dépistage ciblé des comorbidités qui minent la sexualité (SAOS, dépression, douleurs chroniques, iatrogénie médicamenteuse).

Quand envisager un traitement médicamenteux ?

Place des DORA (antagonistes des récepteurs de l’orexine)

Les DORA réduisent l’éveil en bloquant OX1R/OX2R sans “forcer” un stade de sommeil particulier, ce qui peut préserver l’architecture du sommeil. Dans l’insomnie chronique, le daridorexant est l’option la plus documentée.

Les DORA, comment ça marche ?

Les DORA sont une nouvelle génération de somnifères qui n’endort pas par sédation, mais en coupant le signal de l’éveil.

Ils bloquent l’orexine, une substance cérébrale qui maintient l’état de veille.

Résultat : un endormissement plus naturel, un sommeil mieux structuré et moins de somnolence au réveil que les hypnotiques classiques.

Quviviq (daridorexant) : fiche pratique rigoureuse

Indication, statut et remboursement en France

  • Indiqué chez l’adulte dans l’insomnie chronique (symptômes ≥ 3 mois avec retentissement diurne), en seconde intention après prise en charge non médicamenteuse.
  • En France : médicament liste I, remboursé à 30 % (SMR modéré, ASMR IV).
Quviviq daridorexant

Posologie et administration

  • Dose recommandée : 50 mg le soir, 30 minutes avant le coucher ; possible à 25 mg selon le profil patient/comorbidités.
  • Avec ou sans nourriture ; un repas copieux peut retarder l’effet sur l’endormissement (t_max retardé d’environ 1,3 h, C_max –16 %).
  • Conduite et activités à risque : espacer d’environ 9 heures entre la prise et la conduite ; prudence accrue les premiers jours.

Efficacité clinique (synthèse)

  • Essais de phase 3 : amélioration de l’endormissement et du maintien du sommeil ; à 50 mg, amélioration du fonctionnement diurne mesurée par l’IDSIQ.
  • Étude d’extension sur 40 semaines (jusqu’à 1 an) : tolérance maintenue, pas de rebond ni de sevrage à l’arrêt, bénéfices nocturnes et diurnes soutenus, surtout à 50 mg.
  • Architecture du sommeil : en analyse post-hoc de phase 3, réduction de marqueurs EEG d’hyperéveil et amélioration des transitions veille→sommeil, sans altérer la répartition NREM/REM.

Bon à savoir

L’IDSIQ évalue les effets de l’insomnie dans la journée (fatigue, humeur, concentration).

Dans les études, il aide à vérifier que le traitement améliore le bien-être global, tout en préservant la répartition normale des phases NREM et REM du sommeil.

Tolérance et effets indésirables

  • Effets fréquents : céphalées, somnolence, vertiges, fatigue, nausées (généralement légers à modérés). Paralysie du sommeil : peu fréquente, surtout en début de traitement.
  • Études cliniques : pas de signal de dépendance ; altération de la conduite possible après la première dose, non objectivée après 4 nuits consécutives à 50 mg.

Interactions et contre-indications (à vérifier systématiquement auprès de votre médecin)

Médicaments et interactions avec CYP3A4
  • CYP3A4 : contre-indiqué avec inhibiteurs puissants (itraconazole, clarithromycine, ritonavir) ; réduire à 25 mg avec inhibiteurs modérés (érythromycine, ciprofloxacine, ciclosporine). Les inducteurs (p. ex. éfavirenz) diminuent l’exposition et peuvent réduire l’efficacité. Éviter le pamplemousse le soir.

Le CYP3A4, qu’est-ce que c’est ?

Le CYP3A4 est une enzyme du foie qui transforme de nombreux médicaments.

Quand on prend un traitement qui la bloque ou la stimule, cela peut modifier la quantité de médicament dans le sang.

Avec le Quviviq, il faut donc éviter certaines associations (ex. antibiotiques puissants ou pamplemousse) pour garder une efficacité et une sécurité optimales.

  • Dépresseurs du SNC / alcool : potentiel effet additif sur la psychomotricité.
  • P-gp/substrats à marge étroite : prudence (ex. digoxine). Interaction modérée observée avec dabigatran étexilate.
  • Contre-indications : narcolepsie, hypersensibilité connue.

Populations particulières

  • Hépatique : pas d’ajustement si insuffisance légère ; 25 mg si modérée ; non recommandé si sévère.
  • Rénale : pas d’ajustement, y compris si insuffisance sévère.
  • Âge > 75 ans : données limitées → prudence clinique.
  • Grossesse/allaitement : données humaines limitées ; passage faible dans le lait mais risque de somnolence infantile non exclu → discuter au cas par cas (arrêt allaitement ou du traitement). Pas de données de fertilité humaines.
  • BPCO sévère : prudence.

Utilisation pratique et suivi

  • Toujours inscrire la prescription dans un plan de soins structuré (TCC-I + règles de sommeil) et réévaluer à 3 mois la pertinence de poursuivre, puis périodiquement.

Sexualité : que peut-on attendre en pratique ?

Le traitement de l’insomnie ne constitue pas un traitement « direct » des troubles sexuels. Néanmoins, la réduction de la somnolence et de la fatigue diurne peut lever des freins à l’intimité, soutenir le désir et la disponibilité attentionnelle, et faciliter l’émergence d’une sexualité plus satisfaisante au quotidien. Les essais de daridorexant montrent des gains de fonctionnement diurne perçus (IDSIQ), cohérents avec ces bénéfices indirects possibles.

Conseils concrets à délivrer aux patients

Ajuster les habitudes de sommeil (avant toute prescription)

  • Horaire de lever régulier, lumière du matin, siestes brèves et éloignées du soir, limitation des écrans au lit, routine d’extinction progressive.

Adapter l’intimité aux rythmes d’énergie

  • Privilégier les fenêtres d’éveil stable (fin de matinée, début de soirée les jours reposés).
  • Ritualiser une séquence de décompression (respiration, douche tiède, étirements doux) pour passer du mode « performant » au mode « présent ».

Surveiller et agir en cas d’alerte

  • Somnolence matinale persistante, épisodes de paralysie du sommeil ou rêves anormaux gênants, idées noires : contacter le prescripteur rapidement.
  • Si suspicion de SAOS (ronflements, apnées rapportées, somnolence diurne) : dépistage prioritaire et prise en charge dédiée, la PPC pouvant aussi améliorer la dimension sexuelle.

Points de vigilance pour la prescription de Quviviq

  • Toujours après TCC-I (ou en parallèle si indisponible) et avec objectifs mesurables (journal de sommeil, IDSIQ court).
  • Informer des interactions (CYP3A4, alcool, autres dépresseurs du SNC) et du délai entre prise et conduite.
  • Revoir à 3 mois : arrêter si bénéfice insuffisant ; sinon poursuivre avec réévaluations programmées et stratégie de dose minimale efficace.

Conclusion

L’insomnie chronique pèse lourdement sur la sexualité : baisse du désir, difficultés d’excitation ou d’orgasme, repli relationnel.
Les données récentes confortent une démarche en entonnoir : diagnostiquer, traiter d’abord par TCC-I, et n’introduire un hypnotique que de manière raisonnée. Le daridorexant, grâce à un mécanisme non GABAergique et une préservation de l’architecture du sommeil, est une option pertinente chez des patients bien sélectionnés, avec un suivi attentif de l’efficacité, de la tolérance et des interactions. L’enjeu demeure de concilier qualité du sommeil et qualité de l’intimité, en tenant compte des préférences du couple et des comorbidités somatiques ou psychiques.

Sources

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